Cybersexe : le futur est-il en ligne ?

Le sexe en ligne est aussi vieux qu’Internet. Gadgets après gadgets, il se diversifie et trouve ses terrains de jeux dans les métavers. Mais peut-il aller jusqu’à remplacer le sexe de la vie réelle ? Peut-être, mais pas sans rapports interpersonnels, selon les spécialistes Yann Minh et Agnès Giard.

Faire l’amour en ligne, c’est déjà possible depuis des années. Il y a les caresses que l’on se fait soi-même, aidé·es par une conversation classique par écrans interposés. Mais il y a aussi des techniques plus sophistiquées où quelqu’un·e commande à distance des vibromasseurs, ou autres stimulateurs, placés sur le corps d’une autre personne. Et puis, il y a le cybersexe que l’on pratique à travers les avatars de jeu vidéo, dans un univers virtuel, au sein des fameux métavers.

L’artiste Yann Minh, hacker et spécialiste du sujet, expérimente le cybersexe à travers toutes ses formes depuis une vingtaine d’années. Il fréquente surtout le métavers de Second Life. Il s’agit d’un jeu vidéo sorti en France en 2003. Déjà à l’époque, les joueurs et joueuses faisaient l’amour à travers des personnages virtuels. La série BlackMirror n’a rien inventé.  

«  Il y a un épisode de Black Mirror où deux potes, masculins, se mettent à avoir des relations sexuelles à travers l’un d’entre eux qui est en femme dans un univers virtuel, explique le soixantenaire. Ça, je l’ai vécu, il n’y a pas besoin d’attendre le futur. »

Dans Second Life, les joueurs·ses choisissent souvent un avatar du genre opposé au leur. « Mais on s’en fout, de toute façon l’important c’est la relation », souligne-t-il. La relation avec les autres avatars, dans laquelle le joueur ou la joueuse est émotionnellement impliqué. En fait, c’est la vision du personnage en entier sur l’écran, qui permet de se mettre à sa place. 

« On pourrait parler d’une sexualité cérébrale par dédoublement, d’une certaine manière », selon Agnès Giard, anthropologue, a travaillé sur le cybersexe au Japon. Dans les années 2000 le pays commence à faire face à une crise des célibataires, trop nombreux. À ce moment-là, les «love dolls » font leur apparition. Ces poupées à taille humaines sont vendues comme partenaires sentimentales et sexuelles.

« On a cru que les consommateurs de love dolls allaient envahir le monde, et ce n’est absolument pas ce qu’il s’est passé. Il s’en vend à peine mille par an alors qu’il existe plus de 14 millions de célibataires au Japon, annonce la chercheuse. Plus aucun client n’est revenu après une première tentative, parce que quand ils entraient dans la chambre ou recevaient le package, ils se retrouvaient bien cons d’être en face d’un objet qui regardait le plafond. » En parallèle, des les années 1990, des sextoys télécommandables essaiment dans le monde et au Japon. «Les japonais ont aussi développé des télédildoniques mais ces objets ne semblent pas avoir tellement de succès.»

Ces godemichés sont pilotés par connectique. Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, ces accessoires d’ailleurs peu pratiques ne sont pas nécessaires à une bonne partie de jambes en ligne. L’excitation monte lorsque derrière le virtuel quelqu’un·e a l’intention de procurer du plaisir.

«Il y a des millions d’autres personnes qui consomment des personnages numériques qui font office de mari, d’époux, de partenaire alternatif, et toutes ces relations présentent pour caractéristiques d’être des relations à la fois hyper sensuelles et très charnelles et sans l’aide d’aucun outil synchronisé avec l’image. Donc on assiste à l’heure actuelle à la démultiplication de partenaires émotionnels de synthèses.»

Des partenaires inconnus et des partenaires de la vie réelle. Pour Yann Minh, le cybersexe fait partie du «quotidien du futur». D’ailleurs il l’expérimente déjà avec sa compagne. «On a exploré ensemble les relations sexuelles dématérialisées entre Montréal et Paris. Et c’était génial. Ça ne tue pas la relation réelle, au contraire, ça l’enrichit et l’amplifie».

L’artiste pluridisciplinaire imagine l’arrivée de technologies cybersexuelles plus accessibles et plaisantes, dans un futur proche. Pour l’instant, la réalité virtuelle, par exemple, nécessite de porter un casque pas franchement agréable. Mais des expérimentations sont en cours pour tester les systèmes haptiques, un dispositif permet de reproduire les sensations d’un objet virtuelle sur la peau. Un collègue scientifique lui en a parlé.

« Il avait décrit un système qu’il avait testé au Japon : il s’agissait d’une espèce de fourrure robotisée, où chaque poil était relié à un petit moteur, et il contrôlait les mouvements des poils, explique l'artiste. Dès que tu commences à travailler sur la téléopération, sur la dématérialisation, la réalité virtuelle, l’haptique, précisément l’endroit qui est le plus riche et le plus fort c’est la sexualité. »

Pourtant, en France, Yann Minh fait partie des rares à oser parler librement de cybersexualité. «Chaque fois que j’ai rencontré des chercheurs des développeurs et des ingénieurs français, je leur en ai parlé et à chaque fois la réponse était "c’est génial, on adorerait faire ça, mais si on commence à traiter ce sujet, on va se faire sucrer nos subventions"», soupire le Français.

Les chercheurs contactés pour ce reportage n’ont pas souhaité s’exprimer. 

Hotline