Pourquoi faire retirer une vidéo porno illégale du net est si difficile?

L’association Osez le féminisme a signalé aux pouvoirs publics 200 vidéos pornographiques jugées “illégales”. Derrière la démarche de communication, une volonté d’attirer l’attention sur le manque de modération des sites porno et la difficulté à faire retirer ces vidéos.

Cet article évoque des thématiques liées au viol et aux violences sexuelles.

Une campagne massive de signalements a été lancée dans l’industrie du porno, ce dimanche 23 janvier. À l'initiative de l’association Osez le féminisme, 200 vidéos pornographiques ont été signalées auprès de la plateforme Pharos, également utilisée pour le terrorisme. Diffusés sur des plateformes de type PornHub ou Jacquie et Michel, ces contenus mettent en scène “des actes de torture et de barbarie”. Si officiellement, l’association féministe laisse quinze jours aux différents sites pour que les vidéos soient retirées du net, la suppression de ces vidéos n’est, en réalité, pas une mince affaire.

Lorsqu’une vidéo porno est supprimée de la jungle d’Internet, il ne faut souvent que quelques jours pour la voir refleurir sur pléthore de sites concurrents. Dès qu'un contenu à caractère pornographique est posté quelque part sur la toile, il est déjà trop tard pour les victimes.  Dès que des utilisateurs·trices ont téléchargé la vidéo incriminée, elle est à jamais gravée dans la mémoire d’Internet. 

Des sites hébergés à l’étranger qui n’opposent aucun contrôle

Une des raisons pour laquelle il est aussi difficile de parvenir à ses fins ? L’écrasante majorité de ces sites sont hébergés à l’étranger. Pour Ursula Le Menn, juriste engagée dans la lutte contre les violences faites aux femmes, il faudrait pouvoir prendre le mal à la racine. “Ce qui pose problème, c’est que toutes ces vidéos sont postées sur Pornhub sans aucun contrôle en amont. Et ça, cela relève déjà de l’illégalité. Mais comme toujours en droit, il y a la théorie et la pratique”, déplore celle qui est aussi porte-parole d’Osez le féminisme

Même lorsqu’il est question d’actes de torture ou de viol en réunion, les recours pour les personnes qui voient leur image ainsi dégradées se comptent sur les doigts d’une main. Le premier outil mis à leur disposition est la notion de “droit à l’oubli” qui octroie le droit aux plaignant·es de demander le déréférencement de la vidéo sur les différents moteurs de recherche (formulaire Google). Une fois averti, l’hébergeur est considéré par la loi du 21 juin 2004 comme responsable s’il ne supprime pas la page ou le compte comportant les photos ou vidéos compromettantes. Il est également possible de mettre en demeure l’éditeur du site.

Peu d’affaires aboutissent en justice

Si les poursuites judiciaires en la matière ne sont recensées dans aucune étude émanant du ministère de la Justice, les spécialistes estiment que, la plupart du temps, les femmes dont ces sites bafouent le droit à l’image sont déjà extrêmement vulnérables et souffrent d’une grande précarité économique. Résultat : elles n’ont pas toujours les moyens de poursuivre en justice ceux qui leur ont extorqué leur droit à l’image. 

Dans les faits, la loi française punit la diffusion de l’image d’une personne contre sa volonté d’une peine de 45 000 € d’amende et d’un an d’emprisonnement. Mais lorsqu’il s’agit de contenus “à caractère sexuel”, le responsable est passible d’une peine de deux ans d’emprisonnement et 60 000 euros d’amende.

Parce que les décisions judiciaires se comptent sur les doigts d’une main, la tenue prochaine du procès de French Bukkake est "historique", selon Ursula Le Menn. Dans cette affaire, une cinquantaine de plaignantes a porté plainte contre huit personnes liées à ce site pour adultes, parmi lesquels des acteurs et des producteurs. Ils sont poursuivis pour "viols", "proxénétisme" et "traite d'êtres humains". Une première pour l'industrie X : jamais aucun acteur porno n'avait été jugé pour viol jusqu'ici.

Sur le site, les vidéos représentant une sexualité extrême et violente se ramassent à la pelle. À l'écran, de très jeunes femmes, souvent fragiles et précaires, font leurs débuts. Parmi les pratiques dénoncées, beaucoup de manipulation et des réalisateurs qui imposent au dernier moment à des jeunes femmes des pratiques ou des partenaires multiples pour lesquels elles n'ont pas donné leur consentement. Au procès, l'association Osez le féminisme sera présente sur le banc des parties civiles.

“Si ces scènes porno d’une violence extrême se retrouvaient sur Youtube, on crierait au scandale”

Laëtitia Crouzet - Osez LE FEMINISME

Osez le féminisme a lancé ces signalements en masse avec un seul objectif : dénoncer l’absence de régulateur pour la pornographie. Face à une telle industrie qui pèse des milliards d’euros, le seul levier pour ces associations est d’attirer l’attention des pouvoirs publics et ainsi les inciter à agir. “Sinon, c’est David contre Goliath”, commente Laëtitia Crouzet, porte-parole d’Osez le féminisme

Selon elle, le porno bénéficierait d’une sorte de traitement de faveur. “Quand il a été question d’encadrer le téléchargement illégal, on a bien créé Hadopi. Pourquoi n’est-ce pas possible de faire la même chose pour le porno ?”, s’interroge Laëtitia Crouzet. Et d’ajouter : “Si ces scènes d’une violence inouïe se retrouvaient sur Youtube, les gens crieraient au scandale immédiatement et elles seraient retirées dans l’instant.” 

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