(D)ébats 2022 : Qu’est-ce que la « GPA éthique » proposée par Yannick Jadot ?

À l’occasion de la campagne électorale de 2022, Nu décrypte plusieurs mesures et propos des candidat·es à l’élection présidentielle touchant aux sexualités. Le député européen EELV Yannick Jadot souhaite ouvrir le débat de la gestation pour autrui "éthique".

"Nous avons aujourd'hui de multiples possibilités d'avoir des enfants, ce qui apporte beaucoup de bonheur à de très nombreuses familles. Cela justifie de réfléchir aux conditions d'une GPA éthique. Il nous faut créer les conditions d'un débat sur les contours d'une possible régulation." Il est l'un des rares à s'avancer sur ce sujet clivant. Le candidat écologiste Yannick Jadot s'est franchement exprimé en faveur de l'ouverture d'un débat concernant une pratique éthique de la gestation pour autrui (GPA) en France, et ce, dès juin 2021 dans une interview à Têtu. Le candidat a ensuite détaillé sa proposition en décembre dernier. Selon lui, une GPA "éthique" peut-être envisagée entre des sœurs qui voudraient s'entraider, uniquement si aucune transaction financière n'entre en jeu.

Concrètement, la professeure émérite de sociologie Laurence Tain explique à nu qu’une GPA est le procédé médical qui rend possible" l’utilisation de la grossesse d’une femme située en dehors d'un couple pour obtenir un bébé". Une telle proposition s'inscrirait dans le sillage du décret de septembre 2021 qui autorise la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes les femmes.

Le problème de la marchandisation du corps des femmes

D'un point de vue politique, la GPA est un terrain glissant. Et ceci depuis 2012, alors que les membres de la "Manif pour tous" marquaient leur opposition à la loi sur le mariage entre personnes du même sexe, en agitant la théorie d'une inexorable pente vers l'autorisation de la GPA.

Ce qui pose problème selon les détracteurs de la gestation pour autrui, c'est le fait que des femmes soient dans l'obligation de louer leur ventre en échange d'une somme d'argent. Il y a quelques années par exemple, un commerce illégal de mères porteuses entre la France et l'Ukraine avait été révélé. En 2020, indiquait une enquête du Monde, le montant d'une GPA était estimé entre 40 000 et 60 000 euros.

Un sujet qui divise

Le sujet est encore si sensible, que la proposition portée par Yannick Jadot divise des deux côtés de l'échiquier politique. Même son propre camp peine à s'accorder à ce sujet. Le numéro un du parti EELV, Julien Bayou, prend pour sa part clairement position contre toute forme de GPA. En mars dernier, il dénonçait sans ambiguïté le "risque que cela ne dégénère sur des trafics et de la traite d'êtres humains, et en particulier à nouveau et toujours les femmes".

D'autres voix d'associations féministes s'élèvent pour dénoncer une possible marchandisation du corps des femmes. L'association Osez le Féminisme !, a notamment réagi au propos du candidat sur son compte Twitter : "Il le fait exprès de se mettre à dos toutes les féministes ??". Laurence Rossignol, ancienne ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes, a elle aussi manifesté son agacement à l'égard de Yannick Jadot en questionnant le caractère "éthique" des gestation pour autrui : "GPA éthique… prostitution choisie... charbon propre…neonicotinoïdes bio… Les oxymores en campagne !"

Est-ce possible légalement ?

Selon la loi, la GPA est interdite. Elle est prohibée par le code civil. Malgré tout, dans son programme de campagne, le candidat ne précise pas comment il rendrait légale la gestation pour autrui. Il annonce seulement qu'une fois élu, il lancerait un grand débat pour faire avancer les idées sur une GPA éthique. Il prévoit des "états généraux de la parentalité afin de refondre notre droit de la famille et de la filiation".

Pour Sophie Paricard, professeure d'université en droit privé à Toulouse, l'ajout du terme "éthique" permettrait de mieux faire entrer en adéquation la GPA avec le droit français. "Par le mot "éthique", Yannick Jadot évoque le principe de gratuité, ce qui est central dans notre modèle juridique. Le don de gestation serait ainsi calqué sur le modèle du don d’organe, déjà existant", explique celle qui fait également partie de la Chaire UNESCO, Ethique, Sciences et Société.

L'adoption de la GPA imposerait cependant une nouveauté dans la loi française : pour l'heure, mis à part en cas d'adoption, le statut de mère est octroyé aux femmes qui ont accouché, et à leurs éventuelles épouses. Ici, deux femmes pourraient être considérées comme les mères biologiques d'un enfant, sans l'avoir adopté. Selon l'experte en droit, la "GPA éthique proposée par Yannick Jadot romprait ce lien entre accouchement et maternité".

Ce qui est éthique et ce qui ne l'est pas

Il existe cependant une grosse inconnue. Une telle mesure nécessite que la limite soit claire entre une gestation pour autrui "éthique" et une qui ne l’est pas. Selon les dires de Yannick Jadot, serait éthique toute gestation qui s’organise de manière "absolument non-marchande". Pourtant comme le souligne Sophie Paricard, certains courant de pensée estiment qu’il faudrait imposer que la GPA éthique soit rémunérée. "Selon eux, cela pourrait instaurer de la distance entre la personne qui porte l’enfant et celle qui l’accueillera."

De plus, comme le rappelle la sociologue Laurence Tain, le critère pécunier pourrait ne pas être suffisant pour éviter les fraudes : "Il peut y a voir des transactions financières qui sont éthiques et des transactions non-financières pas du tout éthiques". Preuve que la "GPA éthique" est loin d'être consensuelle : même Christiane Taubira, pourtant fer de lance de la loi pour l'ouverture du mariage aux personnes du même sexe, s'y est opposée, lundi 24 janvier.

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