Joe D’Amato, roi du porno à l’italienne

Le festival international du film fantastique Gérardmer met à l’honneur le réalisateur italien Joe D’Amato en diffusant ce jeudi 27 janvier un documentaire consacré à sa filmographie. Une œuvre tant peuplée de films d’horreur que de porno hard, mais toujours hantée par l’idée du désir et du sexe. 

Il est l’homme aux deux cents films et aux milles pseudonymes. Plus de vingt ans après la disparition du maître de l’érotisme à l’italienne, Aristide Massaccesi dit Joe D’Amato (son nom d’artiste le plus connu) est mis à l’honneur pour la 29e édition du festival international du film fantastique de Gérardmer qui a débuté ce mercredi 26 janvier. Projeté hors-compétition, le documentaire intitulé Inferno Rosso - “enfer rouge” - revient sur une œuvre étrange, excessive, traversée par la folie, mais surtout par le sexe. 

Celui qui a débuté dans le septième art par la case “chef opérateur” a d’abord multiplié les tournages tant de séries B que de films de la Nouvelle Vague. Son nom figure au générique du Mépris de Jean-Luc Godard. Progressivement, il passe à la réalisation de films plus obscurs. Au cours de sa carrière vitesse grand V - il réalise parfois vingt-cinq films en une année - il s’essaye à tous les genres, du western au péplum en passant par le mondo movie - des films à petit budget très crus, le film érotique et même le porno hard … Qu’il verse dans le gore ou dans le porno pur et dur, la sensualité et le sexe irriguent son œuvre. 

Un cinéma voyeur

Selon l’écrivain Sébastien Gayraud, auteur d'un livre sur le réalisateur, la sexualité est une importante clé de compréhension de son œuvre. Une sexualité qui ne trouve jamais de justification psychologique et qui vire souvent dans la déviance, le masochisme et le voyeurisme. Dans son art, D’Amato parle avant tout d’un désir qui passe par le regard. Il faut dire que D’Amato s’est toujours reconnu dans la notion de voyeurisme. “Dans ses œuvres, il assume pleinement son point de vue de voyeur, explique l’auteur. En interview, il a souvent raconté que, lorsqu’il était enfant, il se cachait dans les parkings pour observer les sous-vêtements des femmes qui descendaient des voitures …” Une “première expérience de voyeur” qui forgera l’imaginaire du cinéaste de demain. 

Dans le cinéma de D’Amato, l'œil de la caméra n’est pas donc pas le seul à être dans une position d’observateur, les personnages eux-mêmes le sont tout autant. Dans sa vaste filmographie, le personnage du voyeur se décline à l’infini.  “En témoigne l’un de ses films les plus connus, Emmanuelle et Françoise, en 1975, où l’un des personnages épie un couple d’amants à travers un miroir sans teint”, rappelle Sébastien Gayraud. “L’érotisme c’est le voyeurisme, et la pornographie c’est l’échec de l’érotisme”, répétait le cinéste à qui veut bien l’entendre. 

Une fétichisation du corps de la femme

Pourtant à partir de 1980, date à laquelle la censure est devenue moins vivace en Italie, la pornographie a pris une place importante dans la carrière du réalisateur. La même année, il signe Sesso Nero, le premier porno hard de l’histoire du pays. Sur l’écran, aucune pratique sexuelle n’est mise de côté. Au programme, éjaculation faciale, sodomie, fellation… Un glissement vers la sexualité explicite que cet amoureux de l’érotisme expliquait par une nécessaire adaptation au marché. 

L’imaginaire sensuel de D’Amato, il faut bien l’avouer, ne témoigne pas d’une quelconque conviction féministe. À chaque film, l’artiste s’applique à regarder les femmes comme des objets de désir certes, mais des objets “déifiés”. “La femme est toujours portée au nu dans l’œuvre de D’Amato, affirme Sébastien Gayraud. De toute sa filmographie, je n’ai trouvé qu’un film où aucune femme ne figure au générique, il s’agit de Tought to kill, son seul seul film de guerre”. Pour ce grand amateur du cinéaste, derrière cette vision certes très stéréotypée de l’être féminin se cache en réalité un profonde fascination pour les femmes. 

Des hommes dévirilisés et misérables

Et les hommes dans tout ça ? Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la figure masculine … ou plutôt son sexe est souvent malmené. On ne compte plus le nombre de scènes de castration dans les films de D’Amato… “Dans Sesso Nero, par exemple, on voit carrément le personnage masculin se trancher le sexe sur une plage.” Cette vision morbide d’un phallus masculin tronqué dans son unité, brutalisé, est révolutionnaire pour l’époque ou tout du moins curieuse. D’autant plus curieuse qu’il s’agit d’un contenu porno essentiellement destiné à un public masculin … 

Conclusion : l’homme chez D’Amato apparaît toujours comme misérable et impuissant, le corps déchéant, parfois même souffrant à l’image d’un Frankenstein des temps modernes. Est-ce vraiment un hasard si Joe D’Amato était hanté par l'œuvre de Mary Shelley au point même d’en faire un remake ? Cette image d’un monstre pathétique est façonnée par son créateur dans l’unique but d’attirer l’empathie des spectateur·rices, selon Sébastien Gayraud. Il ajoute : “Lui-même a une vraie compassion pour ses personnages masculins torturés par le désir”. 

Des histoires traversées par la folie et la déviance

Un désir souvent déviant comme en témoigne son film d’horreur le plus reconnu, Blue Holocaust, où il évoque le tabou de la nécrophilie. L’histoire est simple et terrifiante à la fois : un homme perd sa femme, il n’accepte pas de l’avoir perdue et, pour la garder avec lui, il décide d’embaumer son cadavre pour continuer à l'aimer. “Une histoire glauque pour parler de l’amour fou”, résume l’écrivain.

Malgré une image de “roi du nanar” qui lui colle parfois à la peau, Joe D’Amato a marqué toute une génération de réalisateur·rices qui lui reconnaissent sa poésie. Parmi eux, Bertrand Mandico, Hélène Cattet ou encore Bruno Forzani qui multiplient les hommages au maître italien et dont les imaginaires semblent trouver leur source dans une fascination commune pour le corps féminin. Dans l’esprit des un·es et des autres, l’image-même de D’Amato semble à jamais associée à l’expression d’une sexualité libre, débridée, extrême … La légende dit qu’il serait mort caméra au poing en tournant une version porno du film culte et fantastique de 1986 Highlander

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