« Pour des personnes isolées, c’est un moyen de s’exprimer » : le clubbing LGBTQI+, endormi par le Covid-19

Depuis près de deux ans, les boîtes de nuit sont parfois au ralenti, le plus souvent à l'arrêt. Avec elles, c'est tout le monde de la nuit LGBTQI+, ses danseur·ses, ses organisateur·rices, et ses DJs, qui souffre - et une communauté qui perd bon nombre de ses rendez-vous emblématiques.

13 mars 2020. L'État, face à la flambée de la première vague de Covid-19, ordonne la fermeture des boîtes de nuit. "On devait faire une soirée le 21 mars, se souvient Quentin de Vedelly, DJ membre du collectif queer Sous Tes Reins. Après deux ans de pandémie, cette date devait avoir lieu au début du mois de février, dans quelques jours. Et finalement, elle est encore reportée". Le monde de la nuit, l'un des plus rudoyés par les mesures prises pour contrer la pandémie de Covid-19, n'a fonctionné que pendant quatre mois depuis mars 2020. Les portes des clubs LGBTQI+ sont fermées, et c'est tout un lieu de sociabilité pour les minorités sexuelles qui a éteint ses néons.

"La fête LGBTQI+ n’est pas seulement un lieu où on vient danser et boire de l’alcool, décrit Quentin De Vedelly. Pour des personnes isolées, c’est un moyen de s’exprimer, où l'on peut voir des gens.” Plus qu'un lieu de fête, le clubbing queer est un lieu où l'on est ensemble. Et sa fermeture durant vingt mois a dessiné l'ombre menaçante de l'isolement. Victoria Lachose, drag queen fondatrice de la soirée Discoquette, explique : "Les fermetures ont été un moment de solitude pour beaucoup. Le club, c’est là où tu vois les gens que tu aimes. C’est un échappatoire. Se retrouver, du jour au lendemain, sans cette petite bulle festive, c’est dur." Car la bulle est aussi un espace de sécurité, face à un monde extérieur parfois violent. Mélissa Mercader, fondatrice de la soirée queer Myst, évoque ainsi ces soirées comme des "espaces safe" : comprendre, des lieux où les membres de la communauté LGBTQI+ peuvent se retrouver sans crainte d'être victimes de discriminations.

Une manifestation en janvier 2021

Face à la menace de la solitude, une "Union des cultures festives LGBTQ+" naît en janvier 2021, réunissant plusieurs acteurs et actrices de la nuit queer. "On a essayé de faire des manifestations, pour faire un peu de lobbying, raconte Victoria Lachose. Notre but, c’était de faire bouger les lignes." Pas de chance, le volume sonore d'une manifestation, samedi 16 janvier 2021, n'est pas du goût de la préfecture de police, qui l'empêche de se dérouler, la qualifiant de rave party.

Une interdiction qui suscite un sentiment de mise à la marge, tout comme les longs mois de fermeture. Pipi de Frèche, DJ et cofondateur de la Flash Cocotte, soirée queer emblématique parisienne, se souvient du moment où les soirées en plein air ont repris, à l'été dernier : "Lorsque l'on organisait une soirée, on sentait toujours autour de nous une suspicion d’enfreindre la loi. Même à la préfecture, ils ne savaient plus ce qui était possible. Avant le Covid, la nuit était déjà vue comme un lieu de drogue, de sexe. Mais là, ça s'est aggravé."

Pour autant, le DJ estime que la communauté queer n'a pas tant souffert de la fermeture des clubs : "C’est un espace communautaire qui a souffert, mais comme les clubs de collectionneur·ses de timbres ont souffert !" Il rejoint ainsi Christopher Davin, organisateur des Follivores et de la Bitch Party, deux célèbres soirées gays. "Les applications de rencontre permettent aujourd'hui de faire de nouvelles connaissances entre personnes LGBTQI+. Aujourd’hui, on ne va plus seulement en boîte pour rencontrer des gens", déclare-t-il.

"Il est temps que chacun·e puisse se réapproprier ce monde de la nuit"

Pour Christopher Davin, les dommages de ces longues fermetures sont davantage à constater du côté de l'économie du clubbing queer que des fêtard·es : "Le monde de la nuit, il y a plein de corps de métiers qui en dépendent : les DJs, les performeur·ses, les chanteur·ses. Dans la communauté LGBTQI+,les drag queens ont énormément souffert. Pour certaines, c’est un complément de salaire souvent vital." Et ce n'est pas la drag queen Victoria Lachose qui va dire le contraire. Si la performeuse a tenu bon, elle a vu bon nombre de collègues disparaître des radars depuis le début de la pandémie, notamment les plus jeunes d'entre elles. Quant à elle-même, responsable de la communication d'une grande marque et qui a longtemps hésité à vivre totalement de ses spectacles, elle se congratule d'avoir gardé son emploi principal : "Les drag queens n’ont pas forcément de statut à l’heure actuelle, et n'ont donc pas touché d'aides. C'est très dur."

Alors, chacun·e attend avec impatience la réouverture des clubs, prévue le 16 février. Mélissa Mercader se rappelle de la soirée qu'elle a organisée lors de la première réouverture des clubs, en juillet 2021 : "On avait fait un événement en plein air dans un cirque, et il y avait une sorte d’effervescence de sauvagerie. Il y avait une sensation de liberté, de folie." La DJ espère retrouver cette joie mi-février. "Il est temps que chacun·e puisse se réapproprier ce monde de la nuit", s'impatiente Quentin de Vedelly. Car certes, il y a eu des fêtes, y compris LGBTQI+, dans des appartements. Mais le club, ce n'est pas pareil. “Il y a une envie d’écouter de la musique très fort, raconte Pipi de Frèche. Et ça c’est impossible chez soi. Il y a un vrai manque. Moi je ressens ce truc là, ce manque presque physique.” Une envie d'écouter de la musique très fort, mais aussi de se retrouver, encore plus fort·es.

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