Alors que le sexe inonde l'espace de nos vies, et qu'en parler semblait être la meilleure des façons de se libérer des dictats du porno et du cinéma, les jeunes font en réalité de moins en moins l'amour, et certains ne le font même pas du tout.
Être vierge, c’est la honte. Du moins, ça l’a été pendant longtemps. Aujourd’hui, les langues se délient à mesure que les tabous sur la sexualité se dissipent. Sur les réseaux sociaux, outre les comptes promulguant une abstinence religieuse, des centaines de vidéos abordent la virginité avec humour et légèreté. “Quand mes règles n’arrivent pas, que je pense que je suis enceinte, commence l’une d’elle sur la plateforme de partage de vidéos en ligne Tik Tok. Et que je me rappelle que je suis vierge”, mime Céleste en levant les yeux au ciel sur un de ces clips, visionné 143.000 fois. Retour en arrière ou libération de la parole ? Il semblerait que ce soit les deux.
D’aucun.e diront que les dernières générations baignent dans une société hypersexualisée et dépravée. Les parents de nos parents choquaient déjà leurs parents, portant en horreur la libéralisation de la jeunesse prétendument débauchée qu’ils ont engendré. La génération Y n’échappe pas au sempiternel “c’était mieux avant”. Pourtant, toutes les études s’accordent : les jeunes de nos jours font moins l’amour. Selon un rapport américain réalisé en 2016, seules 44% des adolescentes auraient perdu leur virginité, contre 58% il y a 25 ans. Une baisse encore plus remarquable du côté des garçons, chutant de 69% à 47%. D’après l’University College London, un individu sur huit serait toujours vierge à l’âge de 26 ans.
Sexe stéréotypé et hygiéniste
“Cette société n'est pas très sexualisée en réalité, acquiesce la docteure en neuroscience et sexologue Aurore Malet-karas. Aujourd’hui, même lorsque l’on parle jouissance, on aborde davantage l’orgasme, qui est une réaction réflexe, que le plaisir.” Pour la chercheuse, la pression engendrée par la multiplication des contenus parlant de sexe est une des variables de la virginité dite “tardive”. On parle de sexe, certes, mais de sexe stéréotypé. Et lorsque l’on tente de transgresser ces codes en offrant d’autres visions, on fabrique des étiquettes auxquelles s’identifier… et dans lesquelles s’enfermer. “Un·e tel·le est asexué.e, un·e tel.le est bisexuel.le, un·e telle est clitoridienne, exemplifie Aurore Malet-karas. Mais c’est bien plus complexe que ça. On n'‘est’ pas une seule et même chose. La vie n’est pas linéaire." En résumé, chaque comportement sexuel résulte de la somme de ce qu’a vécu chaque personne et change tout au long de la vie en fonction des événements qui la compose. Essayer de se retrouver en une seule et même identité serait donc davantage aliénant que libérateur.
“Et puis, comment voulez-vous que le sexe paraisse charmant aux adolescent.e.s à qui l’on impose une vision hygiéniste à l’école ?”, s’interroge la chercheuse. “Parler sexe au collège, c’est parler maladies très graves, grossesses potentielles et violences sexuelles.” Pas très excitant effectivement. Par ailleurs, la naissance des milléniaux est à conjuguer avec celle de la société du numérique. “Il est plus simple de rester chez soi et d’avoir son plaisir personnel que d’aller trinquer dehors pour faire des rencontres et avoir des rapports avec d’autres personnes”, détaille la sexologue. Regarder du porno, chatter en ligne, écouter des podcasts érotiques sont autant d’alternatives au sexe conventionnel.
Plaisir solitaire
Lila* a bientôt 24 ans et s’en contente. “D’un point de vue sociétal, c’est le néant pour moi, parce que quand tu es célibataire et que tu es une femme, tant que tu n’as pas été pénétrée, tu es considérée comme vierge. Maintenant, ce n’est pas parce que je n’ai personne qu’il ne se passe rien”, explique-t-elle sur un ton un brin malicieux. Avant de renchérir : “Ce n’est pas parce que je vis seule que je dors les mains le long du corps sans rien faire.” Pour se masturber, il lui arrive d’écouter des podcasts érotiques, qu’elle préfère aux sites pornographiques qui ont tendance à la “dégouter”.
Paradoxalement, la jeune femme ressent davantage le poids de l’injonction à être en couple qu’à ne plus être vierge. “Je n’ai jamais passé le cap parce que je n’ai pas eu l’occasion et peut-être aussi parce que je ne la cherche pas réellement.” Exigeante envers elle-même, cette marketeuse dans le cinéma avoue se laisser porter par le mythe de la princesse qui attend l’arrivée de son preux chevalier. “Je sais que c’est une construction du patriarcat, mais honnêtement, j’y suis assujettie et je ne pense pas que je pourrai faire le premier pas avec quelqu’un.” Pas de quoi l’inquiéter, “ça viendra quand ça viendra.”
Rapports à distance
A contre-courant, de plus en plus de films, et surtout de séries, tentent de verser dans la pluralité des sexualités. Le succès planétaire du show américain Sex Education, dont le personnage principal est un adolescent vierge qui monte une thérapie sexuelle pour aider ses camarades, en est un parfait exemple. “Regarder ce genre de séries m’a libérée”, confie Maëva. Cette étudiante dans l’édition de 23 ans n’est plus gênée de parler de sa virginité. Anonymiser son témoignage ? “Pourquoi faire ? Je n’ai pas honte”, répond-elle du tac au tac. Elle est loin la période du lycée où la jeune femme se comparait à ses amies, embarrassée.
Depuis, elle s’est découverte seule et à travers des échanges en ligne avec des garçons. Elle se souvient d’une fois, lorsqu’elle travaillait comme fille au pair aux Etats-Unis. “Je parlais avec un mec sur Tinder par messages, ça se passait bien. Et puis au dernier moment, au moment d’aller à sa rencontre, je me suis défilée. J’avais peur qu’on ne se plaise pas alors autant rester derrière le téléphone.” Après cette expérience, Maëva a réitéré le même genre d'échanges. Il y a deux ans, après avoir correspondu - “flirté” dit-elle - durant trois mois avec quelqu’un qu’elle n’a jamais pu rencontrer physiquement, c’est le déclic. “J’étais en train de m’attacher à un téléphone. Aujourd’hui, je me suis déconstruite à force de voir des gens en parler sans gêne et assumer.” Et de philosopher à son tour : “Je suis prête mais je ne cherche pas à provoquer les événements. Quand ça sera le moment, je sais que je le ressentirai.”
*ce prénom a été changé pour respecter l'anonymat du témoin.