« Le cul, c’est une valeur refuge » : en France, il existe encore plus de 280 sex-shops

Les sex-shops sont diversement répartis en France métropolitaine. Alors que certains départements n’en comptent pas, Paris s’impose avec près de 30 boutiques. Décryptage en cartes et reportage dans la capitale.

Les lettres jaunes de la devanture brillent dans la nuit. Passé l’épais rideau rouge, lorsque nous entrons dans cette petite boutique à deux pas de la gare de Lyon, nous sommes saisis par d’épaisses lumières blanches. L'unique pièce qui compose ce sex-shop est minuscule, et sur les rayonnages s’entassent des jouets érotiques de tout genre. Dans le magasin, l’un des trente référencés à Paris par le Petit Futé (voir Coulisses, à la fin de l’article), les gérants ne seront pas très bavards. “On ne parle qu’aux clients ici, allez voir en face”, marmonnent-ils.

Communément appelés “sex-shops”, ils clament parfois le nom de” love-store” ou le plus “Molière-compatible” “magasin de charme”. Mais après les devantures sombres ou bien évidentes, on y trouve peu ou prou la même chose : des sex-toys (ou jouets érotiques). Dans le référencement du Petit Futé, il y en aurait plus de 280 en France.

La capitale caracole en tête des départements ayant le plus de sex-shops par habitant. À l’inverse, les Séquano-Dionysien·es (les habitant·es de Seine-Saint-Denis) ou les Lozérien·es devront s’amuser autrement : il n’y aurait pas de sex-shop dans leur département. La lose.

Le Covid : coup de massue pour les sex-shops

Dans le quartier, on se rend dans un autre sex-shop, le Love-Store. L’un des salariés qui est présent accepte volontiers de parler. Il parle d’un bilan contrasté, avec des ventes qui ont clairement baissé depuis la pandémie de Covid-19, il évalue à 30 % la baisse du chiffre d’affaires.

Un impact qui ne s'est pas répercuté sur la littérature érotique que commercialise Maxime, gérant de la Musardine, dans sa librairie érotique du 11ème arrondissement de Paris. “Depuis le début de la pandémie, on a eu beaucoup de ventes, ça fonctionne bien, on est à la fois sur le mouvement porteur des librairies, mais aussi parce que le cul, c’est une valeur refuge”, considère-t-il. Il s’étonne d’être référencé comme sex-shop sur l’annuaire : “Ici, ce n’est pas un sex-shop, c’est une librairie ! Certes, un peu particulière puisque spécialisée dans l’érotique”, s'amuse-t-il.

Pour la responsable d’une boutique située Rive Gauche à Paris, la baisse des ventes remonte à loin : elle voit les attentats du 13 novembre 2015 comme un moment clé. Et la dynamique s’est amplifiée avec le Covid, pense-t-elle. Malgré tout, la boutique continue d’attirer ce mercredi matin : quelques minutes après l’ouverture, on compte déjà plusieurs client·es. “On est là depuis 40 ans, on a beaucoup d’habitué·es”, confie-t-elle.

Au Love-Store, près de la Gare de Lyon, la boutique a connu une baisse de 30 % du chiffre d'affaires avec la crise sanitaire.

Il y a de moins en moins de monde, confirme Eric, vendeur dans un sex-shop. Et les magasins, c’est pareil. Je suis arrivé il y a sept ans, il y avait cinq boutiques, aujourd’hui on est plus que trois. Pour nous la concurrence est bonne, parce que les gens savent qu’à la gare de Lyon, il y a des sex-shops. Si les autres ferment, le dernier fermera aussi”

Il pronostique une disparition des DVD pornographiques d’ici “cinq à dix ans”. L’effet d'internet, assure-t-il, même si avoir un DVD “ça assure une confidentialité totale, il n’y a pas d’historique, ça reste la plus-value”. La clientèle du magasin est avant tout constituée d’hommes, et beaucoup viendraient de la banlieue parisienne, d’après Éric. Dans la petite couronne, il n’y a que deux sex-shops référencés, pour près de 3,5 millions d’habitant·es.

Paris, capitale des sex-shops ; région Nouvelle-Aquitaine, la plus fournie par habitant·e

Quant à Paris, si la capitale regroupe bon nombre de sex-shops, cette surreprésentation est toutefois trompeuse. Paris est de loin le département ayant le plus de sex-shops en France, mais la densité de commerces dans la région Île-de-France est faible, avec un peu plus d’un sex-shop pour 300 000 habitant·es.

C’est la région Nouvelle-Aquitaine qui est en tête : elle compte autant de sex-shops (38 en tout) que la région-capitale mais deux fois moins d’habitant·es, soit un sex-shop pour 160 000 habitant·es. Les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Occitanie complètent un podium ancré au sud de la France.

À l’inverse, les régions Normandie et Hauts-de-France sont en queue de peloton, avec l’Île-de-France. La Corse semble être une exception, puisqu’elle ne compterait pas de sex-shop.

La clef du succès : se spécialiser dans la niche

Dans le Marais, on tente un sex-shop essentiellement destiné aux femmes. La vendeuse, qui remonte du sous-sol, indique ne pas avoir le temps de répondre, entre deux commandes à livrer. L’affaire tourne bien : se spécialiser, c’est se démarquer.

Une tendance qu’observe Joris, le gérant de Demonia, dans le 11ème arrondissement de Paris. Après nous avoir poliment accueillis, on fait le tour de l’enseigne spécialisée dans le BDSM et le fétichisme. “Je viens du luxe, c’est important l’expérience du client, qu’il se sente en confiance et qu’il puisse être interpellé par les articles qui sont proposés”, explique-t-il.

À Demonia, à Paris, on revendique d'être le sex-shop référence en BDSM et fétichisme

Quand il a repris la boutique il y a 18 mois, Joris souhaitait améliorer la communication, pour “dédramatiser le BDSM et le fétichisme et attirer une clientèle plus jeune qui souhaite explorer de nouvelles choses sexuellement”. Il l’assure, les gens viennent dans la boutique “parce que c’est un endroit où l’on n’est pas jugé·e, où l’on peut être soi-même dans une société qui juge tout”.

On vend principalement à Paris, mais en ligne c’est partout en France et même dans les Dom-Tom”, explique-t-il. Récemment, des clients venus de Nancy ont fait le chemin pour venir dans cette boutique référence, explique-t-il. À Nancy, il n’y a qu’un sex-shop référencé, et ça n’est pas mieux dans les départements alentours. Et avec la croissance du commerce en ligne, il n’est pas évident que cela s'améliore.


Coulisses

Toutes les personnes citées dans l’article n’ont pas souhaité donner leur nom de famille.

Les données des sex-shops sont issues du référencement des sex-shops de l’annuaire en ligne du Petit Futé.

Les données de l’Insee sont les estimations de population (résultats provisoires arrêtés fin 2021).

La recherche proposait 371 résultats. Il n’a été retenu que les résultats ayant les tags “Coquin France”, “Coquin France: Sex-shop”, “Coquin France: Sex toy – Love boutique” et “Sex toy – Love boutique”, puisque parmi les résultats pouvaient se trouver des commerces n’ayant rien à voir avec les sex-shop. Il est cependant possible qu'une mauvaise étiquette ait été attribuée, et donc que ce commerce ne soit pas un sex-shop.

Dans la nomenclature d'activités française de l’Insee, il n’y a pas un sous-ensemble spécifique aux sex-shop. Ils appartiennent donc à la catégorie des “Autres commerces de détail en magasin non spécialisé”, qui comprennent, “le commerce de détail non-spécialisé sans prédominance alimentaire en magasin d'une surface de vente inférieure à 2500 m²” ainsi que “les sex-shops”.

Il convient de souligner que certains commerces ont pu changer de nom ou fermer. Les données ont été extraites le 22 janvier 2022. Nous avons contacté Le Petit Futé pour demander comment étaient mises à jour les données, et de quelle façon, mais nous n’avons pas eu de réponse avant la publication de cet article.

Nous sommes conscient·es que cette base de données est donc partielle, mais estimons qu’elle est tout de même révélatrice d’une tendance globale.

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